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Herkimer était étendu sur son lit et essayait de dormir, mais le sommeil était long à venir. Et il s’étonna de devoir dormir… De devoir dormir, manger et boire comme un Homme. Car il n’était pas un homme, si proche qu’il en fût grâce à l’ingéniosité et à l’intelligence humaines.

Son origine était chimique et celle de l’Homme, biologique. Il était une imitation et l’Homme était le modèle. C’est le processus, se dit-il, le processus et la terminologie qui m’empêchent d’être un Homme, car en toutes autres choses nous sommes semblables. Le processus et les mots, et la marque tatouée que je porte sur le front.

Je vaux un Homme, je suis presque aussi intelligent, bien que je joue au clown et je serais aussi perfide que lui si j’en avais l’occasion. Sauf que je porte une marque tatouée et que j’appartiens à quelqu’un, et que je n’ai pas d’âme… bien que parfois je me le demande.

Herkimer restait étendu très tranquille et regardait le plafond et essayait de se rappeler certaines choses, mais les souvenirs le fuyaient.

Il y eut d’abord l’outil, puis la machine qui n’était rien d’autre qu’un outil compliqué, et les deux, la machine et l’outil n’étaient rien d’autre qu’un prolongement de la main.

La main de l’homme bien entendu.

Ensuite vint le robot et un robot était une machine qui marchait comme un homme. Qui marchait, qui ressemblait à l’homme et qui parlait comme lui, et qui faisait les choses que l’Homme voulait, mais c’était une caricature. Si parfaitement qu’il fût fabriqué, si ingénieusement qu’il fût conçu, il n’y avait aucun danger qu’on le prît pour un homme.

Et après le robot ?

Nous ne sommes pas des robots, se disait Herkimer, et nous ne sommes pas des hommes. Nous ne sommes pas des machines et nous ne sommes pas de chair et d’os. Nous sommes des produits de la chimie, façonnés à l’image des hommes et à qui a été donnée une vie chimique si proche de la vie de nos créateurs qu’un beau jour l’un de ceux-ci découvrira, à son grand étonnement, qu’il n’y a pas de différence.

Façonnés à l’image des hommes… et la ressemblance est si proche que nous portons une marque tatouée afin que les hommes puissent reconnaître les leurs.

Si proches de l’Homme et pourtant pas Homme.

Bien qu’il y ait de l’espoir. Si nous pouvons garder le Berceau secret, si nous pouvons le garder caché aux yeux de l’Homme. Un jour, il n’y aura plus de différence. Un jour, un homme parlera à un androïde et pensera qu’il parle à l’un de ses semblables.

Herkimer s’étira et croisa les bras au-dessus de sa tête.

Il essaya d’analyser sa pensée profonde, de parvenir à des motivations et des appréciations, mais c’était difficile. Pas de rancœur, certainement. Pas de jalousie. Ni d’amertume. Mais un sentiment agaçant d’imperfection, d’avoir presque atteint au but et de rester en deçà.

Il y avait cependant une consolation, se disait-il, un motif de consolation à défaut d’autre chose. Et ce motif de consolation devait être préservé. Conservé pour les petits, pour ceux qui étaient moins que l’Homme.

Il resta étendu longtemps, à réfléchir à cette consolation, à regarder le rectangle noir de la fenêtre givrée et les étoiles qui luisaient à travers le givre, à écouter la plainte aigre du vent rageur qui cinglait le toit.

Le sommeil ne venait pas ; Herkimer se leva finalement et donna de la lumière. Grelottant, il enfila ses vêtements et tira un livre de sa poche. Blotti près de la lampe, il tourna les pages jusqu’à un passage presque effacé à force d’avoir été lu.

Il n’y a aucun être conscient de vivre, quelle que soit la manière dont il a été créé, dont il est né, dont il a été engendré ou produit, qui marche seul sur la route de la vie. Je peux vous donner cette assurance…

Il referma le livre et le serra entre les paumes de ses mains.

« … dont il est né, dont il a été engendré ou produit… »

Produit.

Ce qui importait, c’était la conscience de vivre.

Consolation.

Et elle devait être préservée.

J’ai fait mon devoir, se dit-il. Volontairement et presque passionnément. Et je le fais encore. J’ai joué mon rôle, et je pense que je l’ai bien joué. J’ai joué un rôle quand j’ai porté le défi en duel à Asher Sutton. J’ai joué un rôle quand je suis venu me présenter à lui comme faisant partie de l’héritage résultant du duel… le rôle impertinent, désinvolte, d’un androïde ordinaire.

J’ai fait mon devoir vis-à-vis de lui… Pas pour lui cependant, mais pour la consolation, le privilège de savoir et de croire que ni moi ni aucun autre être vivant, si humble soit-il, ne sera jamais seul.

Je l’ai frappé. Je l’ai frappé en pleine figure et je l’ai mis knock-out puis je l’ai pris dans mes bras et je l’ai transporté.

Il était furieux contre moi mais cela est sans importance. Car sa colère ne peut effacer un seul mot de ce qu’il m’a donné.

Un coup de tonnerre fit trembler la maison, et la fenêtre, pendant un instant, flamboya soudain d’un éclat rouge.

Herkimer se releva, courut à la fenêtre et resta là, agrippé à l’appui, regardant la lueur décroissante des tuyères d’un astronef.

La crainte le frappa à l’estomac ; il bondit par la porte et courut dans le couloir jusqu’à la chambre de Sutton.

Il ne frappa pas ni ne tourna la poignée. Il enfonça la porte et elle s’ouvrit, sa serrure arrachée et tordue encore accrochée à ses vis.

Le lit était vide et il n’y avait personne dans la chambre.